Retour sains et saufs, récit de nos péripéties lors des inondations au Ladakh
Audrey | août 11, 2010Ouf ca y est nous sommes bien rentrés de notre voyage au Ladakh. La majorité des vacances s’est déroulée comme prévue : premiers jours à Leh et ses environs pour visiter les monastères bouddhiques puis 5 jours de trek en montagne enchaînant les cols et les vallées, les détails suivront dans les prochains articles. C’est à la fin du trek, alors qu’une voiture devait venir nous chercher pour nous ramener à Leh à 60km de la dernière étape, que la situation s’est bien compliquée… nous venions d’achever la dernière journée de marche, bien fatigante avec un col à 4700m et surtout ensuite un dénivelé à descendre de 1400m qui nous a mis les genoux à rude épreuve. On s’imaginait alors le confort d’un bon lit douillet et d’une bonne douche chaude qu’on allait bientôt retrouver à la place de la tente et des torrents glacés que nous avions connus pendant 5 jours. Mais en arrivant au village de Chilling, nous avons vite déchantés. Nous avons appris la catastrophe qui avait frappé la nuit d’avant Leh et les villages alentours. De violents orages accompagnés de trombes d’eau ont provoqués de gigantesques inondations et coulées de boue dévastant tout sur leur passage. Ainsi nous dit-on, la route entre Chilling et Leh est coupée, problème de pont ou de niveau de l’eau dépassant la route on ne sait pas trop, mais nous sommes bels et bien isolés. Nous trouvons donc une chambre chez l’habitant pour nous réfugier pour la nuit et nous restaurer. La maison en question est en quelque sorte la cellule de crise du village puisque c’est le seul endroit disposant d’un téléphone.
« Cellule de crise » à Chilling
Les guides s’y succèdent, essayant des dizaines de numéros de téléphone, mais les communications passent difficilement : Leh est totalement injoignable tout comme l’étranger, il est possible par contre de joindre Delhi pour avoir quelques nouvelles. Celles-ci sont très mauvaises, on apprend les dizaines de morts au moins, la ville détruite… que des tentes à l’endroit où nous dormions la veille du drame, à Sumda Chemno, ont été emportés par la rivière et que les touristes sont disparus. Voilà à quoi cela ressemblait, on dormait tranquillement juste à quelques mètres de ce paisible cours d’eau, il pleuvait aussi cette nuit là d’ailleurs, et j’avoue qu’on n’a pas pensé une minute que l’eau pouvait monter et tout emporter le lendemain.
Camp de tentes à Sumda Chenmo
Avec toutes ces nouvelles de désolations, on se demande bien comment nous allons sortir de là. Notre guide nous propose alors de rejoindre le premier gros village sur la route de Leh qui se trouve à 30km de Chilling où nous sommes bloqués. Ca parait beaucoup, mais après 5 jours de marche avec des gros dénivelés, cette trentaine de kilomètres à plat devrait se faire sans trop de difficultés. C’est l’option que d’autres touristes semblent vouloir adopter aussi. On mange de bons momos (spécialité ladakhie) préparés par nos hôtes, puis nous allons nous coucher pour être en forme pour cette bonne marche qui nous attend.
Le lendemain matin, le départ traine un peu, beaucoup hésitent, certains locaux nous le déconseillent, une bonne partie des touristes se rétractent et décident de rester. Nous à 9h, nous partons finalement (j’avoue que là déjà moi j’aurais choisi l’option de rester, surtout qu’il s’est remis à pleuvoir, mais Stéphane obsédé par son avion qui décolle le lendemain à 8h pour le ramener au travail, est très déterminé à rejoindre Leh). Nous sommes accompagnés de nos 2 guides, un âne porte les sacs et un groupe d’une quinzaine de touristes part en même temps que nous, avec leur guide, ânes et compagnie. Et là, à peine quelques kilomètres plus tard, nous avons un premier aperçu des dégâts. La route est complètement obstruée par une immense coulée de boue argileuse mélangée à des blocs de pierres arrachés de la montagne, une partie de la route est également effondrée dans la rivière déchaînée en contrebas. La coulée est très large, on s’y enfonce jusqu’aux genoux, il faut alors construire un système de pas japonais pour franchir tant bien que mal ce bel obstacle. Nous passons finalement, perso je suis effrayée par la possibilité que la coulée glisse encore, qu’une partie de la route s’effondre en plus ou bien qu’un rocher de cette montagne très instable nous tombe sur le coin du nez. Au tour des ânes alors, c’est très laborieux, les âniers doivent les aider énormément car ils s’enfoncent jusqu’au ventre et parfois leur gueule s’enfonce aussi dans la boue risquant de les étouffer.
Pauvre petit âne épuisé et plein de boue
Les conditions sont vraiment difficiles. On passe une heure sur cet obstacle le temps de faire passer tout le monde puis nous continuons. Malheureusement les coulées de boue et effondrements de pans de montagne s’enchaînent. Allant beaucoup plus vite que le groupe de 20 touristes, nous les distançons (je vous rappelle que Stéphane est très pressé…), nos guides restant avec eux pour les aider. Nous rattrapons deux canadiens, fort sympathiques, avec qui nous ferons le reste de la route. Chapeau à eux, ceux-ci portent leur sac de 15kg sur le dos. Nous, nos sacs, on les pense perdus car vu les nouveaux obstacles encore plus difficiles à traverser pour nous, on est certains qu’aucun âne ne pourra y faire face et que nos sacs devront être abandonnés. C’est le cadet de mes soucis, tout ce que je veux c’est arriver en vie à Leh alors que Stéphane a toujours son objectif d’arriver à l’heure. Je suis un peu en mode survie qui me donne de la force et l’énergie pour affronter tout ca. Après les coulées de boue, vient la route sous les eaux où il faut avancer accrochés à la paroi de la montagne, de l’eau jusqu’aux cuisses. Là moi, pas de bol, je tombe dans l’eau, pas trop de courant à cet endroit heureusement, pas de blessures, juste un appareil photo flambant neuf bon à mettre à la poubelle après le bain qu’il a pris. C’est du matériel, tant qu’on arrive en entier je pense, ce n’est pas ce qu’il y a de plus grave. Après 30km de marche semée d’embuches, beaucoup d’angoisses et quelques pleurs aussi pour moi, nous arrivons enfin à 18h au village de Nimmu. Là nous espérions trouver une jeep nous ramenant à Leh, mais déception, la route est aussi détruite et il nous faut encore marcher 15km supplémentaires pour rejoindre un tronçon de route praticable jusqu’à Leh. Nous croisons des guides qui disent pouvoir nous y emmener d’ici une à deux heures. Nous nous reposons, allongés en plein milieu d’une route. Comme il n’y a plus de voitures, ce n’est pas trop dangereux. Et là, 1h plus tard, on voit arriver nos deux guides, nos sacs et le leur sur le dos ! Je n’y croyais pas ! Les autres français devant la difficulté s’étaient arrêtés dans un hameau et eux ont continués.
Bon ce n’est pas tout ça, mais la route est encore longue et surtout la nuit tombe. Stéphane décharge l’un des guides de mon sac de 15kg avec lequel il finira le trajet. On attaque une montée d’une bonne heure et demi, le décor est chaotique, encaissé entre deux flancs de montagne, on passe entre les rochers, on les escalade, on voit de temps à autre à la lueur de notre lampe torche des bouts de bitume qui témoignent du fait qu’il y avait bien une route là avant mais qui a été arrachée complètement. Le plus effrayant était d’entendre des petits effritements de la montagne dans le noir, me faisant redouter un éboulement plus important. Au sommet, nous arrivons sur une route bien large, intacte, je me sens alors soulagée momentanément. Un temple sikh est sur notre chemin, nous nous y arrêtons pour que nos guides puissent se restaurer et faire une pause. L’armée est aussi présente dans le temple. Alors que nous pensions finir la route le soir même, les responsables de l’armée viennent nous parler et nous déconseillent fortement de continuer dans la nuit car 7km plus loin, la route est aussi arrachée, il y a une grosse coulée de boue, un torrent à traverser et encore 7km au dessus, le pont de la grosse rivière Indus est arraché aussi. L’armée nous dit qu’ils peuvent nous emmener avec différents véhicules et nous aider demain matin. Par contre nous n’arrivons pas à avoir d’engagement de leur part de partir assez tôt. Car n’oublions pas, l’objectif n’est pas juste d’arriver à l’aéroport de Leh, mais d’y arriver avant 7h15 du matin et il est 22h. Je ne suis pas rassurée du tout heureusement après un conseil de crise avec les guides, nous prenons la sage décision de dormir dans le temple quelques heures au moins. Je n’arrive pas à fermer l’œil, trop angoissée, je décide de continuer mais qu’au moindre danger je ferai demi-tour, nous avons déjà pris beaucoup trop de risques à mon gout et j’ai peur que la chance tourne.
Nous repartons donc à 3h du matin pour faire dans la nuit la route bitumée bien large et sans montagne menaçante au dessus, avant d’arriver pour le lever du soleil à 5h au premier obstacle. Nous traversons alors le torrent sur 2 troncs d’arbres. Nous prenons notre temps, avançant sur les fesses pour être plus en sécurité. La traversée se fait sans encombre, on finit la coulée de boue qui a un peu durcie heureusement et on enchaine les derniers 7 kilomètres à la cadence rythmée car le temps passe mine de rien. Nous arrivons à 6h15 au bord de la rivière Indus, celle-ci est déchainée, boueuse et charrie bruyamment des tonnes de roche, un gros pont métallique complètement arraché a été projeté à plusieurs dizaines de mètres de là où il était fixé. On est presque au but, on voit notre chauffeur sur l’autre rive qui nous attend, mais comment traverser ? Un tronc d’arbre ne suffira pas cette fois… L’armée est présente, des dizaines de soldats s’affairent de tous les côtés, mais pour l’instant tout ce qu’ils ont mis en place c’est une double corde accrochée à des arbres pour traverser la rivière. Stéphane est dépité, furieux, on était bien dans les temps mais là cela devient compromis. Pour ma part, je me dis qu’il est hors de question que je tente la traversée sur cette corde. Faire le cochon pendu, j’ai peut-être déjà fait en étant petite, mais là je ne me vois pas tenter ma chance au dessus d’une rivière qui au moindre faux pas m’emporterait à tout jamais. Stéphane évoque quand même la possibilité pour lui d’utiliser cette corde, sans commentaires. L’armée commence finalement à construire un pont un peu plus convenable, à l’aide d’échelles attachées entre elles et de multiples cordes. Tout le monde s’affaire et finalement ce pont de fortune est opérationnel à 8h, heure à laquelle décolle notre avion… On traverse alors cette rivière Indus, nous montons dans le véhicule qui nous attendait et nous faisons les 10 derniers kilomètres jusqu’à l’aéroport. Sans trop d’espoir, en arrivant, nous demandons si notre vol Kingfisher a décollé et là, incroyable bonne nouvelle, non ! Nous filons donc nous enregistrer dans le désordre apparent qui règne dans l’aéroport. C’est un des premiers vols à redécoller depuis la fermeture de l’aéroport, beaucoup de gens sont bloqués et veulent repartir, c’est un peu l’effervescence ; tout comme ca l’est dans nos têtes. Nous sommes tellement heureux d’être enfin dans ce satané avion, 24h après notre départ de Chilling. Moi heureuse d’être vivante et Stéphane trop content de pouvoir aller au travail lundi comme prévu…
Voici quelques photos qui donnent un léger aperçu de ce périple périlleux, sachant que dans les endroits les moins accueillants encore, on ne s’est pas vraiment attardés pour prendre une photo…
Franchissement d’une coulée de boue
Effondrement d’un pan de montagne sur la route
Route sous les eaux
Passage d’un glissement de terrain